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Les deux Fêtes - Muhammad Vâlsan
- Par
- Le 31/12/2014
- Dans Articles divers
Cet article fut publié initialement dans la revue Parfaire l'Homme (numéro spécial sur le Pèlerinage).
Le premier jour de Shawwâl célèbre la fin du jeûne (sawm) de Ramadan, l’un des cinq piliers sur lequel s’édifie l’Islam. D’après les indications prophétiques, ce jeûne, obligatoire pour quiconque en satisfait les conditions, n’est toutefois agréé qu’après acquittement d’une contribution purificatrice (zakât) et d’une prière (salât). Ces deux œuvres étant rattachées chacune à un pilier de la Religion, elles les représentent en quelque sorte pour l’occasion. Avec la double attestation de foi (shahâdatân) qui accompagne et valide l’activité traditionnelle en toute circonstance, ce sont tout compte fait quatre des piliers en question qui se trouvent alors actualisés.
La Fête du Ramadan, ‘Îd al-Fitr, porte un nom qui exprime « la Rupture ». Pour être une rupture par rapport au jeûne lui-même, elle n’en signale pas moins une autre rupture, celle d’avec l’état du jeûneur, antérieur à son jeûne. Elle résulte précisément des bienfaits du renoncement consenti lors du mois de Ramadan, et aboutit normalement une véritable renaissance. Le nouvel état n’est cependant pas sans précédent puisqu’il consiste à recouvrir un état primordial perdu, l’état originel (fitra), ou plus précisément natif, selon lequel Allâh, conformément à Lui-même, a « naturé » les hommes (Fitrat Allâh al-latî Fatara an-Nâs ‘alay-hâ) [Coran, 30, 30]. En ce jour de Fitr, la restauration dans la fitra, s’avère d’ailleurs aussi spirituelle que substantielle. L’interdiction expresse d’y pratiquer un jeûne impose en effet une restauration alimentaire. C’est en réalité à un Banquet divin que se sustentent alors les convives, car le repas de la fête finalise au grand jour le cycle des invitations à la « table servie du Tout-Miséricordieux » (mâ’idat ar-Rahmân) des soirs de Ramadan, et à la « nourriture bénie » (al-ghadhâ’ al-Mubârak) de ses aubes (suhûr). Pourtant, malgré l’importance des événements qui s’y déroulent, on nous signifie qu’il ne s’agit là encore que de la « petite Fête » (al-‘Id al-saghîr), celle qui a l’honneur de conduire à la grande Fête (al-‘Id al-kabîr). Elle ne se contente pas en effet de clore la période des neuf premiers mois de l’année islamique. En véritable charnière cyclique, elle inaugure aussi le dernier trimestre de celui-ci en « ouvrant » – dit-on – les mois du Pèlerinage. Que penser alors de la grande Fête du Pèlerinage ?
Le rite du pèlerinage est ce qui constitue le cinquième et dernier pilier de l’Islam, celui qui amène la Religion et le musulman à leur perfection. En effet, l’itinéraire initiatique exigé par la « Quête de la Maison » (Hajj al-Bayt) permet d’accéder non plus à la réalisation de l’état primordial, supposé déjà acquis, mais bien à l’état inconditionné de totale délivrance. Ce qui différencie le rituel des deux Fêtes – la prière leur étant commune – c’est le passage d’une obligation de zakât à celle d’un « Sacrifice » valant précisément à la grande Fête le nom de ‘Îd al-Adhâ. D’une fête à l’autre, c’est d’un dépouillement d’une part de son « avoir » à l’offrande de son « être » qu’est appelé le fidèle. Le sacrifice ne s’applique plus aux biens, mais directement à soi. Car, indépendamment des substitutions dues à la sollicitude divine, la victime sacrificielle ayant remplacé le fils, et ce fils n’étant que « le secret du père » (al-ibn sirru abî-hi), c’est lui-même que le sacrificateur égorge. Par cet acte ou « fait sacré » que laisse encore entendre le mot « sacrifice », le pèlerin passe ainsi, d’après une formule désormais consacrée, de la réalisation des « petits Mystères » à celle des « grands Mystères ».
Nous nous contenterons d’une dernière considération sans doute étrange pour ceux qui ignorent l’emploi de certaines méthodes traditionnelles, mais néanmoins très éclairante sur la signification profonde qu’elles dévoilent sur Hajj al-Bayt. Non seulement ce rite scelle l’énumération des piliers de l’Islam, selon l’ordre établi à dessein par le Législateur, mais il trouve en outre son aboutissement dans le mois qui scelle l’année lunaire. L’année islamique devant être conçue avant tout comme un voyage dans le Temps sacré, le parcours spirituel des Lieux Saints en représente donc le parachèvement en y ajoutant la dimension spatiale. On sait que la fonction muhammadienne est caractérisée par la notion de « sceau » (khatm). La pierre sigillaire de la bague prophétique en était le symbole extérieur. Conservée au musée de Topkapi à Istanbul, on peut y lire aujourd’hui l’inscription en miroir : Muhammad Rasûl Allâh. Ces trois mots sont, rappelons-le, ceux de la seconde formule du témoignage de foi. Si l’on se réfère à la science plus générale des lettres et des nombres que comporte la science plus générale des noms, laquelle fut accordée à l’homme primordial [Coran, 2, 31], on peut déterminer la valeur numérique de cette formule. Conformément à l’abjad traditionnel oriental, les quatre lettres mîm-hâ’-mîm-dâl composant le nom Muhammad dans l’écriture arabe valent respectivement 40+8+40+4 (=92), les quatre de Rasûl donnent à leur tour 200+60+6+30 (=296), enfin les quatre de Allâh donnent 1+30+30+5 (=66) : la somme totale est donc de 454. Il se trouve que cette valeur est également celle de l’expression Hajj al-Bayt : (8+3) + (1+30+2+10+400) = 454. L’identité numérique constatée permet d’illustrer l’étroite relation entre la fonction d’Envoyé d’Allâh et la Quête de la Maison. Elle relève que l’accomplissement du cinquième pilier de l’Islam concrétise le contenu de la seconde Shahâda et qu’il équivaut, dans une certaine mesure, à une prise de conscience authentique et définitive de la Réalité muhammadienne universelle (al-Haqîqa al-muhammadiyya al-kulliyya).
La Quête de la Maison se rapportant en fait autant à la dernière partie de l’attestation de foi gravée sur le sceau prophétique Muhammad Rasûl Allâh, Muhammad est l’Envoyé d’Allâh, qu’à sa première partie Lâ ilâha illâ Allâh, Pas de dieu si ce n’est Allâh, on se rend mieux compte des liens remarquables qui unissent le premier des piliers de la Religion à l’ultime d’entre eux.
Muhammad Vâlsan
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